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Tête de mêlée: les éditions Acratie ressortent un introuvable

Bernier couverture Tde mêléeSorti une première fois il y a 90 ans aux éditions Rieder, maison sympathisante de gauche, Tête de mêlée n’avait plus été réédité jusqu’à ce que les éditions Acratie aient la bonne idée de le sortir de l’oubli (Mai 2014).

Quand il est publié en 1924, Jean Bernier a 30 ans et est actif dans les milieux révolutionnaires communistes. Sa jeune existence est déjà sévèrement marquée par la boucherie de 14-18, à laquelle il a participé. Expérience relatée dans le roman autobiographique, La Percée (1920), réédité en 2000 par les éditions Agone. Son engagement politique sera dès lors, et pour longtemps, imprégné de pacifisme et d’internationalisme. Après guerre, il collabore à plusieurs journaux dont Le Crapouillot ou encore Clarté, un journal communiste, et il va progressivement se rapprocher des surréalistes. Camarade de Boris Souvarine et de Georges Bataille, il se situe dans ce courant d’écrivains oppositionnels de gauche au stalinisme(1). Dans le même temps journaliste à L’Humanité, il s’occupe dès 1926 de la rubrique « Sport ».

Le sport, un jeu global, qu’on retrouve magnifié dans Tête de mêlée – roman dont on se demande à la lecture s’il n’est pas autobiographique, tant les sentiments exprimés par le personnage principal, le jeune Justin Gelinot, semblent bruts.

Tout petit, martyrisé par une gouvernante sous pression, exclu des gestes d’amour d’une mère qui néglige cette besogne, et d’un père qui souhaite que ses enfants grandissent sans le déranger dans ses affaires… Voilà ce qui peut être une ébauche de portrait d’une famille issue d’un milieu bourgeois « étriqué, bigot et imbu de sa classe sociale » comme l’éditeur l’écrit dans son avant-propos. Et le sport dans tout ça? C’est justement le biais par lequel le jeune Justin va s’extirper du joug de son milieu, la porte par laquelle il va entrevoir la liberté, ou du moins par où passera son émancipation. Lui l’enfant à qui sa mère interdisait de jouer avec d’autres mômes de son âge au prétexte hygiéniste qu’on y attrape des microbes, va découvrir le jeu comme un moment de transgression.

« Le plus souvent, le jeu était pour lui, non ce bonheur de vibrion ou des ébats de jeune chat alléché par tout ce qui remue ou luit, mais une revanche. Il s’y ruait. Refoulé durant des heures et des heures, l’excédent de sa vie partait soudain en courses virulentes, en geste d’agression. »

Ça commence tout petit, au parc, avec ce fameux cerceau dirigé par une baguette qui, si on les écoute, suffisait au bonheur de nos grands-parents, voire arrière, quand ils étaient enfants. Dans ce parc, avec son cerceau, Justin dépense sans compter son énergie dans des courses frénétiques où il s’imagine en compétition avec les autres enfants jouant au même jeu. Là, il goutte à la sensation de l’effort physique, emmène son corps dans ces endroits interdits par sa mère qui ne veut pas le voir transpirer. Plus tard, les parties endiablées de jeu de barres(2) présageront chez lui le classique « esprit d’équipe » indispensable aux sports collectifs.

Même si le bouquin fait la part belle au rugby comme le titre en atteste, avant ce magnifique récit sur fond du match France-Pays de Galles de 1911, le jeune Justin découvre dans la cour de son collège, l’athlétisme. Il couple cette découverte du plaisir de retranscrire les exploits de sa bande de copains, dans une feuille de choux parfaitement artisanale Le Sportif de Gambetta. Le sport qui scellera son émancipation est bel et bien le rugby. Le jeune Justin après l’avoir découvert comme spectateur au Parc des Princes, et s’être familiarisé avec ses lois et son jargon, s’y collera en tant que joueur, dans un club, le Lutèce Université Club (LUC) qui a tous les traits de son alter-ego du PUC (3). Au même moment le football, fraîchement débarqué d’Angleterre trouve de plus en plus d’adeptes lui aussi. Les yeux de bourgeoise tétanisée de la mère de Justin, ne comprennent rien à ce qui leur apparaissent comme un dangereux défouloir pour populo. Le football n’est-il pas traité par la bouche de la mère Gélinot de « sport de brutes et de voyous »? Il n’en aurait pas fallu tant pour donner envie d’y goûter…

La jeunesse passe finalement vite et l’innocence ne disparaît pas qu’avec les premiers émois sexuels quand on se rapproche du déclenchement de la première Guerre Mondiale. Nous ne pouvons rendre complètement compte de cet ouvrage sans reprendre la conclusion de la quatrième de couverture:

« Mais chez Bernier, pacifiste et internationaliste, la Grande Guerre n’est jamais très loin. Les espérances de « ces jeunes hommes au corps habile et fort, à l’âme prompte » avant 1914, sombreront dans la guerre quelques semaines plus tard sous « les tonnerres monotones de la chimie industrielle » dit-il en conclusion de son ouvrage. »

Notes:

(1)- Jean Bernier collabore entre autre avec le collectif Contre-attaque, l’Union de lutte des Intellectuels révolutionnaires, lancée par Georges Bataille et André Breton  en octobre 1935, et qui se veut une alternative gauchiste à l’Association des Écrivains et Artistes Révolutionnaires (AEAR), un des nombreux satellites du PCF. L’expérience ne dépassa pas 6 mois et jamais le collectif ne pu peser autant que son adversaire stalinien. Outre Breton et Bataille qui en sont les principaux animateurs, on retrouve dans Contre-attaque Boris Souvarine, Michel Leiris, Raymond Queneau, Paul Eluard ou encore Benjamin Péret pour les plus connus.

(2)- Jeu très ancien qui remonterait au XIIIème siècle et qui a probablement connu de multiples variantes. Il serait notamment évoqué dans L’enfance de Jules Vallès. Il se joue en équipe sur un terrain rectangulaire et le but est d’attraper les membres de l’équipe adverse et d’en faire des prisonniers. Ceux-là peuvent toujours parvenir à se libérer en tapant dans la main d’un partenaire encore en course. Une description qui en fait l’ancêtre de beaucoup de jeux dont la balle aux prisonniers qui, si elle en est une évolution « moderne » avec la médiation d’une balle et la possibilité de capturer l’adversaire à distance, elle reste moins « tactique » que les barres. Une présentation simplifiée des règles complètes des barres est disponible à cette adresse: http://ww3.ac-poitiers.fr/eps/apsa/prespco/qqjeux.htm#barres

(3)- Le Paris Université Club qui existe depuis 1906 et qui a vu passé par sa section rugby ces trente dernières années de nombreux joueurs et entraîneurs renommés comme Daniel Herrero, Vincent Moscato, Dimitri Yaschvili ou plus récemment Wesley Fofana.